Vainqueur de la Targa Florio il y a 90 ans : Bugatti remporte sa cinquième victoire consécutive
Molsheim
Des légendes sont nées sur ce circuit. Pendant longtemps, la Targa Florio en Sicile a été considérée comme la course automobile d’endurance la plus difficile, la plus importante et la plus dangereuse au monde. Aujourd'hui, les modèles Bugatti nous remettent en mémoire les pilotes d’autrefois.
L’entrepreneur sicilien Vincenzo Florio a créé sa propre course sur les routes des Madonies en Sicile, sa région d'origine. C'est ici que se sont tenues, de 1906 à 1977, des courses internationales auxquelles participaient parfois des voitures de sport de renommée internationale. Quiconque remportait la course, pouvait se servir de ces voitures comme instrument de publicité. C’est pourquoi tous les principaux constructeurs de voitures de sport envoyaient leurs voitures en Sicile. De 1925 à 1929, Bugatti dominait la course avec sa Type 35. Entre 1928 et 1929, en particulier, un homme montra ses talents au volant de son véhicule : Albert Divo.
Durant ces deux années à bord de sa Bugatti Type 35 C, il fut imbattable et remporta, après une victoire en 1928, la course de Sicile le 5 mai 1929. De plus, en franchissant la ligne d’arrivée, il établit un nouveau record : l’équipe « Fabrik Bugatti » remportait la victoire pour la cinquième fois consécutive - une première dans l’histoire de la Targa Florio, et une performance qui resta inégalée jusqu’à la fin des dernières courses officielles. Jusqu’à ce jour. L’occasion de faire le bilan.
Et pourtant, la course était loin d’être simple : au début, un tour du « Piccolo circuito delle Madonie » totalisait environ 148 kilomètres. À partir de 1919, l’organisateur réduisit la longueur d’un tour à tout de même 108 kilomètres. Rares furent les coureurs capables de mémoriser le parcours complet dans le sens antihoraire, avec ses quelques 1 400 virages et pièges. Cinq tours atteignaient une longueur totale de 540 kilomètres pour plus de 7 000 virages à passer sur des routes de montagne publiques. Le parcours sinueux menait sur des pistes cahoteuses et poussiéreuses. Bien souvent, du petit bétail traversait la piste. Cela n’avait pas grand-chose de commun avec l’asphalte ultralisse des circuits de Formule 1 modernes. Les équipes pouvaient procéder au ravitaillement en carburant et au remplacement des roues à n’importe quel endroit du circuit, mais un éventuel changement de pilote par un coureur remplaçant nommé pouvait avoir lieu uniquement en fin de tour et en présence d’un directeur sportif.
Plusieurs semaines avant le départ, l’équipe Bugatti se prépara en Sicile où les coureurs étudièrent le tracé du circuit. Bugatti installa sa base à un endroit stratégique situé dans le village de montagne de Polizzi pour pouvoir, de là, atteindre rapidement tous les points du circuit en cas d'urgence.
Huit pilotes au départ au volant de voitures Bugatti
Sur les 29 participants, huit coureurs, dont Ferdinando Minoia et Albert Divo, misèrent en 1929 sur des modèles Bugatti. Les deux pilotes dominèrent la course dès le départ à la gare de Cerda, ils parcouraient le trajet étroit jusqu’au village de Caltavuturo, poursuivaient au volant de leur voiture de course à travers les petites rues sinueuses des Madonies, montaient à Polizzi à 900 mètres d'altitude, puis redescendaient jusqu’à Collesano et Campofelice. De là, suivant le circuit à vive allure sur une route côtière, ils regagnaient la gare de Cerda. Un véritable défi pour l’homme comme pour la machine.
Avantages des voitures de course Bugatti Type 35 : elles étaient solides, légères, maniables et fiables. Grâce au compresseur, le moteur 2,0 litres huit cylindres développait 125 ch et propulsait le véhicule à plus de 200 km/h en ligne droite. Grâce à l’utilisation systématique de matériaux légers, la Bugatti affichait un poids à vide inférieur à 750 kilogrammes. Ainsi, il y a 90 ans, les jantes, les carters de moteur et les boîtes de vitesses étaient déjà faits d’aluminium. L’essieu avant forgé était creux en son milieu, ce qui réduisait encore le poids et améliorait le comportement routier. Grâce à des tambours de frein plus grands, les pilotes pouvaient freiner plus tard, juste avant les virages, et donc rouler plus longtemps à grande vitesse.
Au final, plus que sept voitures en course
Les voitures démarraient tour à tour à intervalles de trois minutes : avec une vitesse moyenne de 75,98 km/h, Ferdinando Minoia établit un nouveau record sur la route. Il franchit la ligne de départ et d'arrivée pour la première fois au bout de 1 h 25, Divo suivait avec moins d’une minute d’écart en quatrième position. Dès le second tour, Divo parvint à remonter deux places même si son écart avec le coureur en tête avait augmenté d’une minute et demie. Toutefois, au cours du troisième tour, il réduisit l’écart à 44 secondes, pour finalement dérober à son coéquipier la pole position au quatrième tour avec 39 secondes d’avance.
En raison des difficultés liées au parcours, seules sept voitures étaient encore en course à la fin du quatrième tour, parmi celles-ci quatre Bugatti, deux Alfa Romeo et une Maserati. Au cinquième puis au dernier tour, Divo fila sereinement vers la victoire puisqu’une crevaison empêcha son rival Minoia de le rattraper. Avec un temps de 7 h 15 min 41,7 s, Albert Divo améliora de 30 minutes environ le temps réalisé lors de sa victoire de l’année précédente. Et ce, à une vitesse sensationnelle de 74,4 km/h, en ce dimanche de 1929.
Les courses entre 1925 et 1930
1925 : double victoire d’emblée pour la Bugatti Type 35
Ettore Bugatti envoya trois de ses nouvelles voitures de course T35 en Sicile pour les tester dans des conditions extrêmes, mais aussi pour mieux les présenter au public. Les pilotes engagés par Bugatti étaient Bartolomeo « Meo » Costantini et les deux frères de Vizcaya. Leur mission : gratifier le type 35 d’une victoire dès le premier essai. Durant le premier tiers de la course, les véhicules Peugeot étaient en tête. Or, pendant une course automobile d’endurance, la constance et la patience sont de rigueur. En raison de l’accident du leader Christian Dauvergne, son équipier Louis Wagner s’arrêta pour lui venir en aide. Au cours des deux tiers restants de la compétition, Meo Costantini réussit à décrocher la première victoire pour Bugatti avec une vitesse moyenne de 71,6 km/h, tandis que Pierre de Vizcaya gagna la Coupe Florio après une course irréprochable, assurant ainsi une double victoire.
1926 : 1, 2, 3 dans la course au titre
Pour l’édition suivante, Ettore Bugatti avait construit une Type 35 particulière, la 35T, sachant que T signifiait Targa. Sur la Type 35T, il renonça au compresseur car selon lui, cela était contraire à l’esprit du sport. Ce n’est que plus tard qu’il allait revoir sa position et créer la Type 35TC avec compresseur, communément appelée Type 35B. Meo Costantini remporta à nouveau la Targa Florio au volant de la Bugatti Type 35T huit cylindres sans compresseur, devançant cette fois ses collègues, eux aussi sur Bugatti, Fernando Minoia et Jules Goux. La triple victoire de Bugatti parachevait une nouvelle course sans faille, qui offrit la Coupe Florio à Bugatti et Meo Costantini.
1927 : Une nouvelle double victoire déclasse la concurrence
Bugatti célébra sa victoire probablement la plus assurée à l’occasion de la Targa Florio de 1927. Une troisième victoire lors de la troisième participation de la Type 35 aurait déjà été un grand succès en soi. La fierté d’Ettore Bugatti fut toutefois d’autant plus grande qu’aucune chance ne fut laissée à la concurrence d’accéder à la victoire. Après sept heures et demie de course et une vitesse moyenne de 71 km/h, ce n’est pas moins de 20 minutes d’avance que Materazzi allait totaliser sur Ernesto Maserati qui finit troisième. Entre la Bugatti de Materazzi et Maserati, ce fut Conelli, sur Bugatti lui aussi, qui franchit en deuxième la ligne d’arrivée : une fois encore une double victoire.
1928 : Elisabeth Junek malchanceuse, mais une nouvelle victoire pour Bugatti
Quatre ans avant cette édition de la Targa Florio, Elisabeth Junek s’était forgé une renommée en Tchécoslovaquie. Elle arriva avec à son actif une collection de trophées obtenus pour une série de victoires globales, victoires de catégorie et meilleurs temps au tour... et avec la volonté d’atteindre la gloire internationale. En 1927, elle avait déjà tenté sa chance une première fois en Sicile, mais elle avait été éliminée dès la première moitié de la course en raison d’une direction défaillante.
En 1928, elle se présenta au volant de sa Bugatti Type 35B contre toute l’élite de la course automobile. Elle se défendit avec bravoure et se livra à des duels passionnants avec les autres pilotes Bugatti, mais aussi avec l’Alfa Romeo de Giuseppe Campari, qui a pris l'avantage au quatrième des cinq tours. Elle n’allait pas pouvoir reprendre la tête car vers la fin du dernier tour, sa pompe à eau commença à fuir, l'obligeant à rouler à vitesse réduite. Mais elle franchit tout de même la ligne d’arrivée en cinquième position. Elle fut néanmoins acclamée en championne. Campari remporta certes le duel avec Junek, mais pas la course, puisque Albert Divo passa la ligne d’arrivée au volant de sa Bugatti, avant même l’Alfa Romeo.
1929 : Record du tour lors de la cinquième victoire
Battues d'un cheveu en 1928, les Alfa Romeo voulaient se venger de leur défaite l'année suivante, mais leur malchance se répéta. Albert Divo remporta une nouvelle victoire en établissant même un nouveau record du tour.
1930 : Divo et Chiron malchanceux
Une fois de plus, Bugatti et Alfa Romeo participaient au duel annuel en Sicile. Dès le premier tour, les pilotes des deux équipes battirent le record du tour établi par Albert Divo l’année précédente. Cette fois, Divo ne parvint pas à défendre son titre et fut contraint d’abandonner prématurément suite à un accident provoqué par un essieu tordu. On crut durant la majeure partie de la course que Bugatti remporterait une sixième victoire consécutive, mais au dernier tour, Louis Chiron, qui menait la course, quitta la route sur un sol meuble. Ils ne firent pas gagner pas la course à Bugatti, mais Albert Divo et Louis Chiron étaient déjà entrés depuis longtemps dans les annales du constructeur français. Ce n'est donc pas un hasard si les deux derniers modèles de Bugatti de l'époque contemporaine - les modèles actuellement en vente Bugatti Chiron et Bugatti Divo - portent le nom de ces deux pilotes de légende.
À propos d’Albert Divo
Né le 24 janvier 1895, le Français Albert Eugène Diwo (ce n’est que plus tard qu’il se fit appeler Divo) entama à 13 ans une formation de mécanicien naval. Pilote pendant la Première Guerre mondiale, il travailla ensuite de nouveau comme mécanicien. Le parcours qui le mena aux postes de copilote et de pilote de voitures de course fut bref : Divo montrait un talent naturel pour les véhicules rapides. Sa carrière de pilote automobile débuta en 1919 chez Sunbeam et Talbot-Darracq, et il fut bientôt couronné de succès en remportant le Grand Prix d'Espagne à Sitges en 1923. En 1924, il rejoignit Delage. À partir de 1922, il participa à différentes courses et remporta sa première victoire un an plus tard au Grand Prix d'Espagne. Les années suivantes, il connut encore de nombreux succès. Lorsque son ancienne équipe se retira du sport automobile, il rejoignit Bugatti en 1928. Dès la première année, il remporta la célèbre Targa Florio sur une Type 35B, renouvelant un an plus tard le succès sur une Type 35C. Il resta chez Bugatti jusqu'en 1933, où il continua de travailler comme pilote et développeur. Jusqu'à sa mort en 1966, il resta impliqué dans la course automobile dans diverses fonctions. Pour lui rendre hommage, Bugatti a annoncé en 2018 vouloir baptiser sa nouvelle voiture hypersportive d'après Albert Divo : la Bugatti Divo.